L’industrie automobile se trouve depuis quelques années dans une phase de transformation. Nous pouvons avancer deux hypothèses sur les mutations technologiques majeures :
Premièrement, la conduite manuelle sera de plus en plus remplacée par une conduite autonome.
Deuxièmement, la mobilité individuelle se transforme vers une mobilité collective.
Ce qui est nouveau : ces deux tendances commencent à se transposer. La différence entre la mobilité individuelle et le transport en commun pourrait disparaitre – c’est au moins une conclusion qu’on pourrait tirer de l’Imagine Mobility Forum de Mov’eo qui s’est déroulé le 1 juin 2017 à l’ESTACA – Campus Paris-Saclay.
Le plaisir d’être conduit ?
Dans une présentation introductive, Nadine Leclair, Expert Fellow du Comité de Direction de Renault souligne que la conduite autonome ne se trouve pas en contradiction avec la conduite manuelle. Le but de Renault sera de
« garder le plaisir de conduire ou d’être conduit. »
Cette phrase nous semble assez exceptionnelle car elle console la tension entre conduite manuelle et autonome : le fait de céder le volant est ici associé avec le « plaisir », une notion qui était historiquement réservée à la conduite manuelle. Dans cette perspective, la différence entre « conduire ou être conduit » n’apparaît plus comme contradictoire. Il s’agit simplement de deux manières de conduire une voiture qui suscitent les mêmes émotions.
Il n’est pas faux que « d’être conduit » peut être un plaisir, mais cette émotion est actuellement associée avec un autre moyen de transport collectif : ce sont les voyages en train qui nous permettent de dormir, de lire, de travailler et d’échanger avec d’autres voyageurs.
Et ce sont exactement ces promesses que les constructeurs mettent en avance pour promouvoir la voiture autonome. Néanmoins il faut ajouter que « se laisser conduire » dans une voiture sera une nouvelle forme de plaisir. Et une question se pose : Quand l’automobile proposera les émotions du train se rapprochera-t-il donc de l’expérience ferroviaire ?
Madame Leclair affirme : « On va vers la mobilité collective ». Selon elle, les constructeurs automobiles réagissent à cette tendance avec un « élargissement du portfolio » : l’industrie automobile continuera à proposer des voitures individuelles, mais développera également des navettes.
Rémy Bastien, Président de VEDECOM et Vice-Président Automotive Prospective de Renault précise ensuite que la voiture autonome prendra deux formes : premièrement, les constructeurs prévoient de commercialiser un modèle avec une conduite autonome limitée, deuxièmement ils proposeront des navettes ou robotaxis entièrement automatisés.
En juin 2017, une navette de ce type (Navya) sera testée sur le Parvis de la Défense à Paris. Selon David O`Neill, Responsable des Politiques de Services du STIF, un objectif important de l’essai est d’explorer la question du comportement des usagers de ces navettes autonomes :
« Est-ce qu’ils vont coller leurs chewing-gums partout et voler les sacs ? »
Est-ce qu’une machine sans conducteur, sans présence humaine sera donc la scène privilégiée du vandalisme et même de la criminalité ? Est-ce que l’automatisation incite à des agressions ? Est-ce que les incivilités du transport en commun se manifesteront également dans les véhicules autonomes communs ? Il est à noter que les navettes sont équipées avec un système de vidéosurveillance. A suivre donc …
Au cœur de la transition mobilitaire : un changement du comportement des usagers
Il est difficile de « basculer » les habitudes sur le plan des mobilités – par exemple vers plus de covoiturage – souligne Yann Marteil, Directeur Général Via ID lors de la conférence. Pour mieux aborder la question d’un changement des comportements, il faut préciser quels territoires seront concernés, souligne Catherine Goniot (DGA Espaces Publics Mobilité Durable, Métropole Rouen Normandie). Il est par exemple très important de comprendre qu’il existe un clivage entre la campagne et la ville concernant l’abandon de l’automobile. Cette fracture géographique est aussi une fracture sociale, entre cadres et ouvriers.
Goniot souligne que « l’acceptabilité » d’un changement mobilitaire se trouve au cœur du problème : « Est-ce que je suis prêt à laisser ma voiture ? » reste la question principale. A Rouen, les habitants aimeraient bien avoir un centre-ville sans voitures – mais surtout sans les voitures des autres.
Berthil De Fos, Président du Bureau d’études Chronos contredit : Pour changer les comportements, ce n’est pas l’éducation qui compte, mais le développement de meilleures alternatives. Selon un sondage réalisé en 2016 par son cabinet (un résumé se trouve ici), un « rebond » d’usage de la voiture personnelle est à constater. 80% des personnes interrogées plébiscitent donc la possession d’une voiture.
Il faut donc développer les alternatives : l’exemple de Kopenhagen montre que le développement du vélo est un scénario souhaitable pour d’autres villes : une analyse coûts-bénéfices d’usage des vélos dans la ville a démontré que chaque kilomètre traversé en voiture coute à la ville 0.15 euros, alors que la ville gagne 0.16 euros pour chaque kilomètre parcouru en vélo.
Penser la mobilité dans son contexte
Un autre argument important est avancé par Prof. Carlos Moreno, Expert de la Smart City Internationale.
Il rappelle premièrement que la mobilité est seulement une dimension du développement urbain. Elle fait part d’une question fondamentale, plus large : « Dans quelle ville nous voulons vivre ? » Pour comprendre le comportement des usagers – et pour le changer -, il faut donc regarder l’habitat, le travail, les loisirs, la culture et l’éducation.
Deuxièmement, Moreno met également l’accent sur l’importance des territoires si différentes : quand on parle de la mobilité, il faut toujours préciser de quelle ville on parle. Tokyo avait par exemple décidé il y a 15 ans de bannir le diesel de la ville. A Amsterdam, le bike sharing n’a pas d’intérêt, car 75% des habitants possèdent leur propre vélo. Et pourtant, un service de bike sharing existe, mais c’est plutôt pour les touristes. A Tallinn, capitale de l’Estonie, le transport sur l’ensemble des lignes de bus et de tramway est gratuit et ça marche très bien. Les villes Medellin et Kigali considèrent les trajets comme « lieu de vie », pas justement comme connexion entre A et B.
F. Kröger